Fatigués d’essoucher et de trimer à la dure pour défricher leur terre, plusieurs de nos ancêtres n’ont pu résister à l’appel de l’aventure. La traite des fourrures avec les Amérindiens était d’autant plus attirante que ces lointaines expéditions en canot avaient la réputation d’être très lucratives, en d’autres mots c’était une bonne occasion de faire un coup d’argent. Du moins pour certains. D’autres sont sortis de l’expérience plutôt désenchantés et ruinés.
Ce fut le cas de Jean Clair né à Trois-Rivières, fils deFlorent Clair (ou Leclair ou Leclerc) originaire de Braye-sur-Maulne en Indre et Loire et de Marie Gendre de Surgères, non loin de La Rochelle en Charente-Maritime, nos ancêtres (côté Vaillancourt).
Les mésaventures de Jean Clair nous sont connues grâce à un document de la juridiction royale de Trois-Rivières que nous pouvons consulter en ligne.[1]
Le 21 avril 1708, la situation est dramatique. L’épouse de Jean Clair, Marie Claire Loyseau présente une requête en séparation de biens devant Jean Lechasseur, conseiller du roi et lieutenant général de la juridiction de Trois-Rivières. Pour appuyer cette demande, elle présente trois témoins qui, chacun à son tour, viendront raconter brièvement les déboires financiers de son époux.
À ce moment, Jean Clair est âgé de 48 ans, Marie-Claire Loyseau en a 35. Elle a déjà mis au monde dix enfants et elle vient probablement tout juste de réaliser qu’elle en attend un onzième qui va naître huit mois plus tard. La famille déjà dans la misère est harcelée par des créanciers. C’est du moins ce que viendront raconter les trois témoins en l’absence du mari qui, invité à venir donner sa version des faits, préférera s’abstenir.
Tout d’abord Jacques Bissonnet dit la Faverie âgé de cinquante ans ou environ vient déclarer sous serment que :
«il connait ledit Le Clair longtemps il y a, la veu aux Outaouais avec des marchandises quil a traitte avec les Sauvages auquel il a fait plusieurs prest qu’ils ne luy ont point paye ce qui le rend beaucoup obéré envers les marchands de qui il aurait pris les marchandises, a ouy dire qu ils le poursuivent en justice pour avoir payment de leur deus estant dans limpuissance de les satisfaire (…)»*
Vient ensuite le témoignage d’un personnage bien en vue dans la petite société de Trois-Rivières puisqu’il s’agit de Jacques Hertel sieur de Cournoyer. Il est le petit fils de Jacques Hertel sieur de La Fresnière, et le neveu de Joseph François Hertel, célèbre commandant, interprète et seigneur de Chambly. Le greffier résume ainsi son propos :
«(…) il connut les parties il y a plusieurs années a seu que le dit Clair a fait beaucoup de pertes dans un voyage qu il fit aux Outaouais il y a environ treize ans ayant donne ses marchandises a des sauvages dans l esperance qu ils les payeront n ayant pu en retirer que tres peu de choses, seuit qu il est (illisible) a la requeste de ses créanciers n estant pas en estat de le faire , sa femme et ses enfants estant reduits dans la pauvrete plus grande si il y a des debiteurs sinon par les Sauvages desquels le (Illisible) ne croit pas que ledit LeClair en puisse tirer grande chose (…) »*
Les coureurs des bois empruntaient fréquemment à des marchands les articles qu’ils comptaient ensuite échanger aux Sauvages contre de la fourrure[1]. Aussi,dans son témoignage le Sieur de Cournoyer situe l’événement dans le temps. Le voyage aux Outaouais a eu lieu il y a environ 13 ans, c’est à dire aux environs de 1695. Deux ans plus tôt, Frontenac avait donné un nouvel élan à la traite des fourrures, ce qui avait provoqué une affluence sans précédent de coureurs des bois et de pelleteries à Montréal, à tel point qu’en 1695, les magasins de la colonie débordaient de fourrure. Pour cette raison d’ailleurs, on dut réduire par la suite le nombre de permis accordés.[2]
Le dernier témoin apporte un élément nouveau sur la vie de notre personnage. Jacques Dubois âgé de soixante quatre ans ou environ nous apprendra dans quelles circonstances Jean Clair obtiendra le poste de canonnier.
«(…) il ya plusieurs annee il connait le dit LeClair lequel a fait un voyage aux outaouais ___ estant (venu ?) (illisible)a apris alors que son voyage avait esté infructueux en sorte quil se trouve aujourdhuy quil a peine a subsiste de presant ayant sollicité pour luy faire avoir l employ de canonnier de la ville des trois rivières sans quoy il serait reduit a la dernière misere aussi bien que sa femme et ses enfants qui sont en grand nombre (…) »*
Séparation de biens
Cette modification au contrat de mariage a bel et bien été accordée à Marie Claire Loiseau. En effet, en 1710 dans une requête faite contre elle par le marchand Jean-Baptiste Fafard , il est précisé que la défenderesse est la «femme séparée quant aux biens d’avec Jean Clair (Leclerc), son mari».
La chose était-elle courante ? Sachons que six ans plus tôt, le même lieutenant général de la juridiction de Trois-Rivières, Jean Lechasseur, avait eu à se prononcer pour une demande semblable de la part de Madeleine Raclos contre son mari le célèbre Nicolas Perrot, grand explorateur lui aussi ruiné.
On comprend que ces changements aux contrats de mariage visaient à mettre à l’abri les biens de l’épouse et ses revenus éventuels pour ainsi protéger la famille d’une saisie désastreuse à la suite des dettes considérables contractées par leurs maris.
La famille Clerc – Loiseau
Envers et contre tout, dans les années qui suivirent, la famille s’est agrandie de quatre nouveaux enfants , pour un total de treize. Lorsqu’en 1722, Léonarde Genest, la mère de Marie-Claire Loiseau, devenue veuve, réclame une pension de 150 livres de ses enfants pour subvenir à ses besoins, c’est Jean Clair qui va représenter son épouse – la séparation de biens a-t-elle été mise au rancart ? – le greffier note que: «(…)ledit Leclerc déclarant quoiqu’il soit fort âgé, infirme et chargé d’une grosse famille, (…) désire, dans son extrême indigence, contribuer à la pension de la demanderesse, sa belle-mère, en essayant de la fournir en blé et marchandises, mais (…) ne peut s’obliger à lui verser de l’argent étant donné sa rareté.»[1] La Cour tranchera en exigeant que la somme demandée par la mère Léonarde Genest soit bien payée et partagée entre ses trois enfants.
Devenu canonnier, grâce à l’influence du Sieur Jacques Dubois, Jean Clair ne s’est certainement pas enrichi. Le pécule du soldat à l’époque est de 108 livres par année avant déductions notamment pour l’habillement, pour l’état-major, pour la ration, pour la caisse des Invalides de la Marine. [1] Ce poste, peut-être plus prestigieux que payant, Jean Clair l’a transmis à son fils aîné, Jean qui, si on en juge par le registre des procès verbaux d’audience de Trois-Rivières, ne semble pas non plus avoir fait fortune en exerçant le métier.
Marie Vaillancourt
*Les transcriptions sont de mon cru. comme je suis débutante en la matière, des erreurs ont pu se glisser.
Illustrations
(1) Maison ancienne – Suzor-Côté
(2) Traite des fourrures (détail) Source inconnue
(3) Dessin de Jean-Baptiste Greuze
(4) La ville de Trois-Rivières en 1721. Auteur inconnu
(5) Canonnier d’une compagnie de canonniers-bombardiers stationnée en Nouvelle-France, entre 1743 et 1750. Tiré du site Passerelle pour l’histoire militaire canadienne http://www.cmhg.gc.ca/cmh/page-172-fra.asp
(6) Canon tiré de l’encyclopédie Diderot d’Alembert
Sources
Registre des audiences de la Juridiction royale des Trois-Rivières (BANQ)
Malchelosse, Gérard, Les coureurs des bois au XVIIe siècle, Cahier des dix, volume 6.
Site Passerelle pour l’histoire militaire canadienne, la paye du soldat http://www.cmhg.gc.ca/cmh/page-172-fra.asp
2013/08/30
Bravo pour les transcriptions, c’est un travail de moine! Très intéressant, comme toujours.
2013/09/02
Jean Clair est dans la lignée de Louis Pinard, dont certains ont pris le patronyme de Florent, Fleurent.
Mon ancêtre, Guillaume Pinard dit Beauchemin, a épousé Marguerite, fille de Jean et Marie-Claire Loiseau.
2013/09/06
Je ne savais pas qu’à cette époque, les femmes dans de telles situations avaient des recours. Tant mieux si Marie Claire Loyseau, ta lointaine ancêtre s’en est prévalue!
2013/09/07
Merci pour ces voyages dans le temps. J’ai lu le commentaire de Micheline et je me demande si Louis Pinard serait aussi l’ancêtre des Fleurant ? À ma retraite dans deux ans je pourrais en faire la recherche. À bientôt ! Aline
2013/09/09
oui, Aline, Les Fleurent, Florent, Raîche, Lauzier, Lauzière, Beauchemin sont tous des patronyme de Louis Pinard. allez sur google et écrire Association des descendants de Louis Pinard, On peut y avoir toutes les lignées, l’Association existe depuis plus de 30 ans et est très dynamique, Nous aurons une réunion générale à Nicolet le 21 sept. si vous voulez y assister, je vous donnerai les informations.
2013/09/09
Toujours intéressantes ces histoires. Nous apprenons ainsi que la vie n’était pas facile pour ces femmes qui ont été nos aïeules, ces pionnières, dans un pays où il y avait tout à construire.
Je suis très touchée par le courage et la persévérance de tous ces français et françaises qui ont choisi l’inconnu et la froidure de chez-nous.
Excellent travail de recherche.
2014/03/30
Bonjour,
Premièrement, félicitation pour l’ensemble de votre travail et de vos recherches. Comment avez vous réussi à trouver le parcours aussi minutieusement et aussi détaillé ? Il me faudrait 3 vies pour réussir un tel travail ! Je suis de la descendance de NADON Pierre (originaire du département de la Charente-Maritime, France en 1669) marié à Catherine Labelle (veuve de Jean Simon)le 26 avril 1711 à St-François de l’Île Jésus. J’ai réussi a créer mon arbre généalogique par les guides Drouin, à la Bibliothèque municipale de Montréal. Malgré le fait que j’ai réussi à obtenir des copies de certificats de mariages par écran cathodiques et des infos par l’entremise des journaux de l’époque, mes recherches ce sont arrêtées là et je n’ai pu poursuivre. J’ai vécu 40 ans de ma vie à Montréal, et depuis 2003, je vie en Suisse et j’aimerai poursuivre mes recherches. L’histoire m’a toujours passionnée, alors imaginer développer l’histoire de sa propre famille ? Bravo encore une fois, mais dites-moi qu’elle est votre secret, ou et comment dois-je affiner mes recherches ? Comment entrer en contact avec des gens qui détiennent une partie de notre histoire ?
Merci de m’avoir redonné l’envie de poursuivre l’histoire.
Je reste en attente de vos nouvelles,
2014/05/07
Bravo pour votre article.
Je suis généalogiste agréé, et je dispose de l;a plupart des sources qui vous ont guidées dans sa rédaction.
Toutefois, je cherche depuis quelque temps les sources me permettant d’étayer cette période de sa vie au cours de laquelle il a été « Engagé Ouest » ou « Engageur Ouest » ou « Courreur des bois »
Auriez-vous l’amabilité de me communiquer ces sources ? De plus, je n’ai rien trouvé concernant son engagement comme canonnier du roi; là encore si vous avez trouvé des sources, j’aimerais bien en avoir copie.
Mon ancêtre direct est Florent Leclerc (donc aussi Jean Leclerc), via la lignée de Claude Leclerc dit Blondin, fils de Jean Leclerc.
Salutations amicales
Richard
2014/05/07
Concernant Jean Clair, lors d’une demande de séparation de biens requise en 1708 par son épouse Marie-Claire Loiseau, trois témoins Jacques Hertel Sieur de Cournoyer Jacques Bissonet dit La Faverie et Jacques Dubois affirment qu’il a fait un voyage aux Outaouais il y a 13 ans (donc vers 1695). Ma source est un document disponible en ligne à l’adresse suivante :
http://pistard.banq.qc.ca/unite_chercheurs/description_fonds?p_anqsid=201405071612072927&p_centre=03Q&p_classe=TL&p_fonds=5&p_numunide=840654
Dans son témoignage tiré du même document Jacques Dubois affirme avoir sollicité pour Le Clair un emploi de canonnier à la ville de Trois-Rivières afin de l’aider à subsister lui et sa famille.
Par ailleurs, je ne connais ni la date précise de son engagement pour l’Outaouais ou ni, par la suite comme canonnier.
Marie
2015/11/07
À l’auteur de cet article sur Jean Leclerc & Marie Claire Oiseau Fraîcheur
Auriez-vous l’obligeance de me communiquer le(s) nom(s) de(s) l’auteur(s) de cet article SVP.
Je m’apprête à publier un article sur mon ascendance directe dont fait partie Jean Leclerc, et j’aimerais bien en attribuer le mérite à la (aux) bonne(s) personne(s).
Merci